Engelo BOTE, le cordonnier de luxe

 

«Il n’y a pas de sot métier, il n’y a que de sottes gens.» Cet adage mérite toute notre attention. L’Afrique, notre continent, n’a pas que besoin de médecins, de pilotes, de banquiers ou d’avocats. Pour son essor et pour la continuité de sa dynamique engagée vers le développement, elle a aussi besoin de menuisiers, de maçons, d’éboueurs et de cordonniers, tous professionnels et amoureux du travail bien fait. Parlons spécialement du cordonnier. Ce métier, sous nos cieux, est généralement pratiqué par des personnes qui ont rétamé à l’école, et qui n’ont eu d’autres choix que de se livrer au plus grand des hasards au rabibochage de sandales. Engelo BOTE, Jeune cordonnier Ivoirien, vient briser cette conception saugrenue et place ce noble métier au même titre d’estime que les autres. Chausseur ou cordonnier de luxe, pour lui, la cordonnerie est un excellent moyen de devenir ce qu’il a toujours voulu être : inspirateur de sa génération.

 

Abidjan, l’horloge du tableau de bord de notre véhicule affiche exactement 13h25. Et il fait 29° Celsius. L’Équipe de reportage de Tomorrow Magazine traverse d’un trait le pont Henry Konan BEDIE, 3ème et plus long pont de la capitale économique de la Côte d’Ivoire. Direction, Koumassi Remblais, dans le sud de la ville. Rendez-vous y est pris avec un Jeune cordonnier Ivoirien qui fait, de plus en plus, parler de lui, ou du moins, de son travail. Engelo BOTE, a 34 ans (36 ans cette année) et détient une boutique de vente de chaussures de ‘’luxe’’, qu’il prend soin de confectionner lui-même dans son atelier. Les fabricateurs de chaussures, il en existe plusieurs, mais des cordonniers ambitionnant de lancer une marque de chaussures de luxe made in Côte d’Ivoire, Ça ne court pas les rues.

Bureau climatisé, ordinateur portable posé sur une table à l’apparence boisée, Engelo nous reçoit avec calme et débonnaireté. Tout autour du mur à l’intérieur de sa boutique, sont logées des paires de souliers, les unes plus affriolantes que les autres. Pendant que nous étions en pleine conversation, Engelo se lève de son siège, soulève délicatement une paire de souliers et nous la montre avec fierté, «Regardez-moi cette merveille. Elle a été faite à partir de la peau d’un éléphant d’Afrique du Sud.» Surpris et inquiets, nous évoquons les braconnages qui sévissent dans nos forêts et savanes. Engelo sourit et nous rassure sur le fait que toutes les peaux d’animaux avec lesquelles il travaille sont issues des parties de chasse légalement admises par les autorités des pays d’Afrique australe.

Engelo BOTE passe en revue presque toutes ses œuvres avant que nous ne débutions l’interview et la séance photo.

Enfant, il rêvait de devenir cordonnier

Engelo BOTE est un enfant de Yopougon (la plus grande commune de Côte d’Ivoire). Il grandit dans le quartier populaire et populeux de Sicogi Harlem, situé juste derrière le commissariat de police du 16ème arrondissement. Ce quartier de ‘’Poy’’ (autre appellation de Yopougon), réputé être difficile pour l’éducation des enfants et pour l’insécurité qui y règne, n’a pas eu raison de la détermination d’Engelo, «J’ai grandi là où beaucoup de mes amis ne sont pas parvenus à braver les obstacles de la vie et à accomplir leur destinée.» Nous a-t-il déclaré le visage sérieux.

Aussi étrange que cela pourrait paraître, Engelo, depuis sa tendre enfance a toujours rêvé de devenir cordonnier, «A chaque fois que mon père me demandait ce que je voulais faire plus tard comme profession, je lui répondais que je voulais devenir cordonnier. C’est le premier métier qui m’est venu à l’esprit sans même que je ne sache ce que c’est.» Son père était loin de se douter que son petit Engelo le deviendra un jour.

Les difficultés de la vie et de nouvelles aspirations vont rapidement remplacer ce rêve d’enfant. Engelo découvre l’école et ses exigences. Il obtient un BAC A2 au Lycée Notre-Dame de Biétry en 1999. Trois ans plus tard, il passe avec succès le BTS à l’École Supérieur de Commerce et de Gestion des Entreprise (ESCGE).

La vie d’Engelo va d’un sens à un autre. Quelques années plus tard, il découvre la musique. Il s’éprend d’elle et décide de la pratiquer. Pour ce faire, il va s’inscrire à l’Institut National Supérieur des Arts et de l’Action Culturelle d’Abidjan (INSAAC). Pendant un an, il se forme au quatrième art. Il compose plus de 200 chansons qui ne sortiront jamais. Même s’il vit sa passion, Engelo n’en vit pas pour autant. La vie devient ardue pour lui.

 S’il vous plaît, c’est quoi un sot métier ?

Engelo traverse une situation vraiment difficile, il n’arrive pas à joindre les deux bouts. De frustration en frustration, il mène sa vie et atteint le summum de la déchéance et de la honte, «J’ai traversé une situation vraiment pénible. J’étais tellement fauché que je n’arrivais plus à payer mon loyer de 25.000 FCFA. Je vivais à Yopougon et mon propriétaire, exacerbé par mon incapacité à m’acquitter de mes devoirs, m’a jeté dehors.» S’ensuit alors une longue période de disette. Engelo trouve refuge chez Marie-Paule ZADI, une coreligionnaire, qui décide de lui apporter de l’aide. Il nous déclarera lors de l’interview qu’il lui en sera éternellement reconnaissant.

Engelo BOTE, n’est pas du genre à baisser les bras. Il se découvre un talent de maître de cérémonies qu’il décide de mettre en exergue. Il propose ses services à des futurs mariés, à des organisateurs de spectacles et sillonne de nombreuses soirées pour se faire connaître. Jusque-là, il ne s’imaginait pas que son rêve d’enfance s’accomplirait un jour.

Tout part d’une visite qu’Engelo rend à un vieil ami. Il constate que celui-ci vient de recevoir des chaussures venues des États-Unis. Il convainc cet ami d’acheter deux ballerines à crédit. Celui-ci accepte. Engelo ne compte pas les utiliser, mais les vendre. Les vendre sur internet. Très vite, il comprend que les réseaux sociaux sont un excellent moyen d’évacuer sa marchandise. Il fait une publication sur sa page Facebook et met les chaussures en vente. Il n’en faut pas plus pour intéresser les ‘’facebookers’’. Les ballerines sont vendues et Engelo s’en sort avec 200% de bénéfice. Le business semble juteux. Il décide de recommencer et cette fois-ci, il se dirige vers un ami cordonnier avec qui il achète des chaussures, qu’il se donne le plaisir de revendre ensuite sur Facebook. Tout se passe pour le mieux du monde. Notre désormais revendeur de chaussure 2.0 est étonné du succès de sa nouvelle affaire. Mais dans ses réflexions, il se rend compte qu’il serait plus profitable que lui-même confectionne les chaussures. Clic, clic… Engelo vient de se rendre compte qu’il est effectivement en train de devenir cordonnier, comme il l’avait dit à son père 30 ans en arrière.

Engelo BOTE prend une décision importante. Il décide de tout laisser tomber et d’apprendre assidûment le métier de cordonnier, «Je vais apprendre la cordonnerie pendant deux ans auprès d’un ami et je vais ensuite réussir à me mettre à mon propre compte.» Les débuts sont timides, mais Engelo peut compter sur le soutien précieux et la bénédiction de Mireille HOUNDJI, son épouse. Dans son atelier qu’il appelle affectueusement ‘’le laboratoire’’, il travaille secrètement à offrir des modèles de chaussures inédites. Il séduit de nombreux amateurs de chaussures qui n’hésitent pas à lui passer des commandes. Engelo n’attend pas longtemps pour ouvrir une boutique. Aujourd’hui, il peut être fier de son travail, «J’évolue désormais à un niveau assez professionnel. Avec mon équipe, je confectionne des chaussures de luxe, sur mesure, avec principalement des matières de choix et made in Côte d’Ivoire.»

Nous nous empressons de lui demander ce qu’il pense de ceux qui croient que la cordonnerie est un sot métier. Sa réaction est surprenante. Il répond à notre question par une question, «Aujourd’hui, je suis en train de construire un empire avec la cordonnerie, s’il vous plaît qu’est-ce que c’est qu’un sot-métier ?» Comme s’il voulait nous convaincre de l’idiotie de cette question de sot métier, il ajoute ceci, «Je suis marié et père de deux superbes enfants qui sont heureux et fiers de leur père. Mon épouse l’est aussi. Je ne mendie plus ma pitance. La cordonnerie me rend encore plus fier que jamais. Tous les employés avec lesquels je travaille ici nourrissent convenablement leurs familles à partir des revenus qu’ils perçoivent ici.» Voici qui est clair.

Cordonnier de luxe, je le suis

Si vous rencontrez un jour Engelo BOTE, jamais vous ne vous imaginerez qu’il est cordonnier. Toujours bien mis, il déclare ceci, «Je m’arrange à ne toujours laisser paraître que ce qui va emmener les autres à aimer ce boulot, que beaucoup considèrent encore comme une misère.» Quand on lui demande de se présenter, Engelo le fait fièrement en déclarant qu’il est cordonnier ou chausseur de luxe. Pour ceux qui ne le sauraient pas, un cordonnier de luxe est un fabricant de chaussures qui utilise des matières rares, selects et relativement chères dans la confection de ses œuvres. Si cette définition ne souffre d’aucune équivoque, Engelo a cependant sa propre vision de ce que c’est que la cordonnerie de luxe, «Pour moi la cordonnerie de luxe s’explique avec les quatre facteurs suivants : La vision (référencer la Côte d’Ivoire comme une destination recommandée en matière de chaussure de luxe) ; les matériaux (nous utilisons les mêmes matériaux  que les chaussures de luxe vendues partout ailleurs dans le monde ; l’expertise (celle de toute l’équipe est un cumul de plus de 40 ans de savoir-faire) ; les actions pour réaliser la vision sont en cours.»

La cordonnerie de luxe, selon Engelo, est un métier qui a de beaux jours devant lui, car porteur de beaucoup de promesses et de richesses. Pour lui, il faut absolument éviter de tomber dans la routine ‘’des petites choses’’. Il faut toujours voir grand.

Le mérite de ce Jeune Ivoirien, réside dans le fait qu’il a réussi à rendre précieux ce que tant de personnes considèrent comme vil. Sous nos cieux, une vielle et mauvaise mentalité veut qu’exercer les métiers de cordonnier, soit le symbole de l’échec social.  Dieu seul sait combien de fois les personnes d’entre ceux qui lisent présentement cet article méprisent le cordonnier du quartier. Engelo ne s’est jamais laissé décourager par les remarques blessantes de ceux qui ont essayé de d’exécrer et d’abominer son métier. Avec persévérance, respect et détermination il a toujours répondu qu’il croyait en la cordonnerie, «J’ai pris la peine durant des années à travailler mon mind à cette triste réalité et aujourd’hui je crie sur tous les toits que j’en suis fier. Mon attitude oblige les autres à plus de questionnements sur la richesse que cache la cordonnerie de luxe… Pourtant, ils sont fiers et arpentent les rues, vêtus de chaussures de cordonniers étrangers… Paradoxe des paradoxes.»

 

Ouvrir une boutique dans toutes les grandes capitales d’Afrique

Travail, travail et travail, voici la devise de notre cordonnier de luxe. Engelo a les yeux plus gros que le monde. Il rêve d’une expansion de son activité à l’échelle Africaine. «Je travaille petit à petit à moderniser et professionnaliser ma cordonnerie d’un point de vue administratif et technique, pour atteindre une production mensuelle de 1 500 chaussures.  Mon souhait, c’est d’avoir au moins 20 salariés vivants de leur métier de bottier et d’ouvrir des boutiques de vente dans toutes les grandes capitales Africaines.» Nous a-t-il révélé avec un air enjoué et confiant.

Mais il faut bien comprendre qu’une cordonnerie moderne nécessite de gros investissements. Jusqu’ici, Engelo n’a fonctionné que sur fonds propres. Il sollicite l’investissement de toute personne qui croirait à son projet et même de celui de l’Etat Ivoirien, «Je voudrais à ce niveau de mes propos, demander au gouvernement Ivoirien et aux investisseurs ainsi qu’aux mécènes de bien vouloir oser croire en notre cordonnerie et de nous accorder les moyens financiers pour développer ce projet d’envergure qui hissera haut dans le ciel le drapeau Ivoirien.»

Jeunes, osons toucher le fond de l’iceberg

Engelo BOTE est un afro optimiste. C’est sûr, l’Afrique selon lui, est le continent du futur et une véritable aubaine pour la Jeunesse Africaine, «Si vous suivez de près l’évolution des activités et les flux entre les 5 continents, vous comprendrez que l’Afrique est le futur eldorado pour tout entrepreneur qui saura saisir sa chance et agrandir son territoire. Partant de ce fait, la Jeunesse Africaine a tout intérêt à se mettre à l’entreprenariat.»

Lorsqu’il commence à évoquer la question de la Jeunesse Africaine, son visage s’assombrit. Avec une voix blafarde et un regard plaintif, il affirme ceci, «Il ne faut vraiment pas se leurrer, notre Jeunesse est en déphasage avec l’évolution et la vitesse à laquelle les choses avancent tant au niveau technologique qu’intellectuel.» Avant d’ajouter «Désolé, mais je trouve notre Jeunesse infantilisée. La plupart des Jeunes aujourd’hui se plaisent dans le superficiel et dans la facilité. C’est regrettable.»

Réfléchir, inventer et trouver des solutions à tous les problèmes qui minent l’Afrique doivent, selon lui, être les maîtres mots de la Jeunesse Africaine. Pour Engelo, la Jeunesse Africaine répond malheureusement absente à 90% aux défis de notre cher continent et le plus regrettable, c’est que cette situation est tout au profit des entrepreneurs étrangers, pour qui ces Jeunes courent tous travailler, afin de se contenter du minimum vital.

Comme mot de fin, Engelo BOTE fait une invite solennelle à tous les Jeunes d’Afrique, vivant sur ou en dehors du continent, «A mes amis et frères Africains, je veux dire que votre talent ne sert à rien s’il n’est pas au service de l’humanité.» L’Afrique est riche, riche de sa jeunesse et tous nous pouvons en être fiers.

Demain Sera Meilleur !

 

About Yannick DJANHOUN

Yannick DJANHOUN, aussi appelé Mister Colombo, est un Journaliste ivoirien. Actuellement Rédacteur en Chef de Tomorrow Magazine, Yannick est un passionné de la Jeunesse Africaine. Sa plume, il l'a met au service de la promotion du Leadership de celle-ci.

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